Uni.e.s contre la destruction du patrimoine architectural de Lausanne, Stéphanie V.

La ville de Lausanne regorge de joyaux architecturaux, dont de nombreux bâtiments historiques qui ont traversé les siècles et ont ainsi marqué l’histoire de la ville et de l’architecture. En effet, il est difficile d’imaginer Lausanne sans sa tour Bel-Air, sa cathédrale, son palais de Rumine, son pont-chaudron, son hôtel de ville, ses tribunaux, sa gare, son casino, ou encore son Grand Pont. Pourtant, l'un des témoins de l'architecture lausannoise, construit par Alfonse Laverrière (1872-1954), s'apprête à être détruit pour être remplacé par un nouveau complexe architectural de tours et de blocs d'immeubles. Menacé de destruction, une partie importante du patrimoine architectural et culturel lausannois risque de disparaître pour laisser place à de nouveaux immeubles de béton. Si les travaux prévoient de préserver les bâtiments de l'avenue gare 41 et 43, le numéro 45 ne sera visiblement pas épargné. Il fait pourtant partie du paysage culturel lausannois, dessiné par Laverrière qui a également programmé la gare ; il s'inscrit dans un ensemble et sa destruction serait une atteinte à l'histoire architecturale de Lausanne.

Uni.e.s contre la destruction du patrimoine architectural de Lausanne

Que penser de cette destruction lorsqu'on sait que la ville de Lausanne met en place depuis plusieurs années des dispositions pour promouvoir la durabilité et la protection de l'environnement afin de répondre aux enjeux environnementaux actuels et futurs ?
Effectivement, la ville met en place des politiques et des incitations pour encourager la rénovation énergétique des bâtiments existants afin de réduire la consommation d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment. Ces politiques ont pour objectif de préserver le patrimoine architectural de Lausanne tout en contribuant à la lutte contre le changement climatique. On peut le lire sur leur site internet: « La Municipalité entend conduire une politique urbanistique à la hauteur des enjeux qui nous attendent, passant par un développement urbain différencié et respectueux du patrimoine. Lausanne se doit d'être une ville agréable et vivante pour ses habitantes et habitants d'aujourd'hui et de demain ». On nous parle également : « d'assainissement du patrimoine bâti », d’« assainir le patrimoine de la Ville », « de rénovation », de « développement de plans d’actions d’incitation à la rénovation des bâtiments ». Ainsi, la destruction d'un bâtiment et l'édification de tours semblent aller à contre-sens de la politique de la ville qui prône un développement urbain durable. L'assainissement et la rénovation semblent aller plus dans le sens des objectifs et des idéaux défendus par la ville de Lausanne.
Dans la même veine, au sein de sa campagne Lausanne 2030, la ville prône vouloir « Développer Lausanne avec l'ambition de préserver l'identité des quartiers, de renforcer la qualité de vie de la population et les mesures d'adaptation au changement climatique ». Encore une fois, la destruction de la Rasude va à l'encontre de ces ambitions avancées par la ville de Lausanne.
Dans les grands projets de la ville, on nous parle du pôle de la gare et de son objectif de 75% de mobilité douce. Que viennent faire plus de 200 places de parking à côté de la gare, en plein centre-ville, alors que la ville se démène pour diminuer les déplacements en voiture et favoriser les transports en commun ?
Plusieurs programmes ont été mis en place au niveau cantonal et au niveau de la ville pour encourager la rénovation des bâtiments. Le canton de Vaud, par exemple, a mis en place plusieurs politiques pour encourager la rénovation énergétique des bâtiments existants. Le « programme bâtiments » offre des subventions et des conseils aux propriétaires pour les aider à améliorer l'efficacité énergétique de leur bâtiment.
En 2017, le Conseil fédéral a mis en place « La Stratégie énergique 2050 » . La rénovation des bâtiments afin d'améliorer leur rendement et de réduire leur consommation énergétique est une partie importante de leur programme.

Mobimo utilise également du greenwashing et, encore une fois, les valeurs défendues par l'entreprise ne sont pas en adéquation avec ce qu'elle s'apprête à faire dans le quartier de la gare.
« Selon le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), les bâtiments sont à l’origine d’en- viron un tiers des émissions mondiales de CO2. Par conséquent, Mobimo s’efforce de diminuer les émissions de CO2 du portefeuille de place- ment conformément au seuil de réchauffement de 1,5 degré Celsius convenu dans l’Accord de Paris sur le climat, ce qui implique une baisse à 1,5 kg de CO2eq/m2 d’ici 2050, électricité des locataires comprise. Mobimo entend atteindre cet objectif ambitieux en procédant à des rénovations et des optimisations du parc immobilier existant ainsi qu’en intégrant des développements propres dans le portefeuille de placeent. » Mobimo prône également la prise en compte de l'énergie grise et la réduction maximale de l'utilisation des ressources. On peut alors se demander si la destruction répond vraiment à une « activité économique durable ». Dans leur rapport d'activité de 2021, on peut lire que « l'entreprise attache une grande importance à la réduction de la proportion de béton et tente, dans la mesure du possible, de conserver un bâtiment existant ».
Il est donc contradictoire de prôner ce genre de démarche alors que la Rasude s'apprête à être détruite.
Mobimo prône également « nous nous efforçons de prendre en compte l’énergie grise et de réduire au maximum l’utilisation des ressources ». On peut alors se demander si la destruction est vraiment répond vraiment à une « activité économique durable ». On peut lire dans leur rapport d’activité de 2021 : « Das Unternehmen legt Wert auf die Reduktion des Betonanteils und versucht, wo möglich, ein Bestandes-gebäude zu erhalten »
—> En français: L’entreprise attache une grande importance à la réduction de la proportion de béton et tente, dans la mesure du possible, de conserver un bâtiment existant. C’est tout de même assez contradictoire de prôner ce genre de démarche alors que la Rasude s’apprête à être détruite.

Face à ces différentes initiatives, et dans un contexte où la ville de Lausanne continue à mettre en place des dispositions pour promouvoir la durabilité et la protection de l'environnement, il est surprenant d'apprendre que la Rasude va être détruite pour faire place à de nouveaux bâtiments. Dans un contexte historique et politique où l'écologie, la décroissance, la récupération et la durabilité sont à l'honneur, les mots destruction et démolition devraient nous choquer et nous inciter à réagir. À la Rasude, c'est le cas et c'est l'une des raisons de notre implication dans ce mouvement. D'un point de vue écologique, la destruction ne se justifie plus, il faut privilégier la rénovation afin de réduire l'impact environnemental engendré par la démolition et la reconstruction. Plusieurs arguments nous poussent à prôner cette démarche de rénovation et à encourager Mobimo et la ville de Lausanne à repenser le projet.

Tout d'abord, la rénovation permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. La construction d'un nouveau bâtiment nécessite souvent une grande quantité d'énergie pour extraire, transporter et transformer des matériaux de construction. En rénovant un bâtiment existant, une partie des matériaux existants peut être réutilisée, minimisant ainsi la quantité de nouveaux matériaux nécessaires. Cela permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre associées à la construction et à la fabrication de matériaux.
Deuxièmement, la rénovation permet de réduire la quantité de déchets. Il est évident que la démolition d'un bâtiment entraîne la production d'une grande quantité de déchets de construction, qui peuvent être difficiles à éliminer de manière écologique. Ainsi, en rénovant un bâtiment existant, on peut minimiser la quantité de déchets de construction produits et faciliter leur élimination.
Ensuite, opter pour la rénovation permet des économies d'énergie. En effet, les bâtiments existants peuvent souvent être rénovés pour améliorer leur efficacité énergétique, ce qui peut réduire leur consommation d'énergie et leurs émissions de gaz à effet de serre.
Finalement, la rénovation permet une conservation des ressources. En rénovant un bâtiment existant, les ressources déjà investies dans sa construction initiale, telles que l'espace urbain, l'eau, l'énergie et les matériaux, peuvent être conservées. En conservant ces ressources, on peut minimiser l'impact environnemental de la construction de nouveaux bâtiments. La rénovation d'un bâtiment historique permet souvent de lui donner une nouvelle vie en l'adaptant à de nouveaux usages.
«Le nouveau quartier La Rasude est un projet créatif qui repose fondamentalement sur une mobilité respectueuse de l'environnement et des espaces verts. Les échanges lors du processus participatif ont permis d'enrichir le projet et de rendre à la population une partie de la ville, en oubliant les barrières et le béton. Le quartier se doit d'être vivant et ouvert. L'un des plus beaux points de vue que Lausanne a à offrir sur la gare et le lac doit bien évidemment être accessible à tous »
La rénovation offrirait également la possibilité de rendre le quartier plus dynamique, car elle permet d'optimiser l'utilisation des ressources existantes, de minimiser la production de déchets de construction et de réduire la consommation d'énergie et d'eau pendant la durée de vie du bâtiment, sans recourir à la destruction.

Plusieurs études ont prouvé la véracité de ces données. Une étude menée par le cabinet d'architecture et de conseil Arup a montré que la rénovation d'un bâtiment existant peut réduire jusqu'à 50% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à la construction d'un nouveau bâtiment. Cette étude a également révélé que la rénovation est généralement moins énergivore que la construction d'un nouveau bâtiment, car elle permet de réutiliser les matériaux existants et de minimiser la consommation d'énergie nécessaire pour extraire, transporter et transformer de nouveaux matériaux.
Une autre étude menée par le cabinet d'ingénierie Buro Happold a comparé l'impact environnemental de la rénovation et de la construction neuve de deux bâtiments résidentiels au Royaume-Uni. Cette étude a conclu que la rénovation d'un bâtiment existant est plus écologique que la construction neuve, en raison de la réutilisation des matériaux existants, de la réduction de la quantité de déchets et de l'énergie nécessaire pour la construction.
Selon une étude de l'Université de technologie de Delft aux Pays-Bas, la rénovation d'un bâtiment peut réduire les émissions de gaz à effet de serre jusqu'à 70% par rapport à la construction d'un nouveau bâtiment. Cela s'explique notamment par la réutilisation des matériaux de construction existants, la réduction de la quantité de déchets produits et la consommation d'énergie réduite pendant la rénovation. Il faut savoir que la construction est l'un des secteurs économiques les plus consommateurs de matières premières et d'énergie, et génère également une quantité importante de déchets. La même étude démontre que la construction d'un nouveau bâtiment peut nécessiter jusqu'à 50% de ressources en plus que la rénovation d'un bâtiment existant. Rénover permet donc d’être moins gourmand en énergie.
Enfin, une étude menée par le cabinet de conseil en développement durable BioRegional montré que la rénovation d'un bâtiment existant peut nettement réduire la consommation d'énergie par rapport à la construction d'un nouveau bâtiment. En somme, rénover est plus écologique que reconstruire.
Dans cet ordre d’idée, Lausanne elle même abrite plusieurs projets de rénovation innovants et durables, tels que la rénovation du bâtiment de l'Hôtel de Ville, qui a permis de réduire la consommation d'énergie du bâtiment de plus de 60%, ou encore la rénovation de l'ancien bâtiment des douanes, qui a été transformé en un complexe de bureaux économe en énergie. Ces projets témoignent de l'engagement de la ville de Lausanne à encourager la rénovation durable des bâtiments existants et à atteindre les objectifs de développement durable fixés par l'Agenda 2030 des Nations unies.

Finalement, la rénovation à des arguments patrimoniaux et esthétiques. Elle permet le maintient du patrimoine culturel. Les bâtiments historiques ont souvent une architecture et un style uniques qui contribuent à la beauté et à l'esthétique d'une ville ou d'une région. La rénovation permet de préserver cette beauté et cette identité architecturale. Il est évidant qu’opter pour la rénovation d'un bâtiment historique permet de conserver et de maintenir son patrimoine culturel et historique, ce qui peut être important pour la communauté locale et pour la préservation de l'histoire de la ville. Les bâtiments historiques sont souvent des témoins de l'histoire et de la culture d'une ville ou d'une région. Les détruire signifie perdre une partie de l'histoire, de l'identité et de la mémoire collective,

Ces chiffres mettent en évidence les conséquences écologiques importantes de la démolition d'un bâtiment. Conséquence qui peuvent être évitées en rénovant un bâtiment existant plutôt que d’en construire un nouveau. C’est une des raisons pourquoi Périrasude s’engage dans ce combat et vous invite à également y prendre part.

Arup. (2019). The Built Environment: A Climate Solution (Report). Arup.
Étude du cabinet d'ingénierie Buro Happold : "Comparative Life Cycle Assessment of Two Residential Buildings: Refurbishment versus New Build", Buro Happold, 2011.
Srinivasan, S. S., Rosenboom, M. A., Brouwers, J. J. H., & van der Velden, A. A. J. F. (2018). Environmental impact comparison between renovation and new construction in the Dutch residential sector. Sustainable Cities and Society, 36, 246-254. https://doi.org/10.1016/j.scs.2017.09.021